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blogrossi

15 mai 2007

La fille du nouveau Président

bonjour,
j'ai écrit ce roman en 1999;
c'est dire que toute coïncidence - il y en a - serait fortuite;
ne vous fiez pas trop à l'aspect gentillet de ce premier passage...
il vaudrait mieux pour tout le monde que cela reste une fiction!
j'ai prévu de mettre une vingtaine de pages par semaine;
j'ajusterai en fonction de l'intérêt.
Gérard ROSSINI


Je m’appelle Claire.
J’ai seize ans et demi.
Ma vie a basculé une première fois, il y a trois ans, un dimanche. Un dimanche de mai.
Il n’était pas tout à fait quatre heures.
On était dans le grand séjour de la maison, en Eure et Loir ; maman brodait pour passer le temps, tonton Philippe regardait une série débile à la télé et tante Sophie regardait par la fenêtre la pluie qui n’arrêtait pas depuis onze heures.
Papa grillait cigarette sur cigarette.
Le téléphone a sonné dans la bibliothèque. C’était sur la ligne spéciale.
Quelques instants plus tard, on a frappé.
- Entrez a répondu papa en allant vers la porte.
Ils ne se sont pas dit un mot.
Papa a pris le papier, l’a lu et il est allé vers maman ; il le lui a montré en disant « C’est fait ! » et il l’a embrassée sur le front.
Et puis il est venu vers moi et il me l’a fait lire. Il y avait juste écrit :

15 h 50 / Sortie des urnes : 53 - 54 contre 47 - 46

Il m’a prise dans ses bras et m’a embrassée.
- Te voilà la fille du Président !
Tonton a arrêté la télé, s’est levé, et tout le monde s’est embrassé, a félicité papa.
Son conseiller lui a posé une question qu’on n’a pas comprise. Il a disparu et il est revenu trois minutes plus tard avec deux bouteilles de champagne, suivi de Georgine qui portait un plateau plein de coupes. Papa l’a embrassée, elle s’est mise à pleurer.
Le téléphone a sonné, cette fois dans la pièce. Papa a décroché.
- Oui, je sais ... merci ... bravo à tous. Nous serons à Paris vers 21 heures et j’interviendrai le plus tôt possible après, mais après lui.
Lui, c’était sans doute le perdant.
Il est revenu vers nous, a repris du champagne et s’est adressé à son conseiller :
- Jean-Marc, il faut qu’on se voit avant de partir. Oui, au moins une demi-heure. Disons - il a regardé sa montre - à 17 heures dans la bibliothèque.
Ça c’était tout papa : on était en pleine fête, euphoriques, et lui, il pensait déjà aux réunions.
Et puis il s’est tourné vers moi et il m’a dit :
- Il faudrait qu’on se voit aussi un moment tous les trois avec ta mère. Dans ta chambre, on sera tranquilles, dans dix minutes on y va.
Je me suis bien demandée ce que ça cachait mais on a recommencé à bavarder joyeusement et Georgine est allée rechercher du champagne.
On s’est retrouvé tous les trois dans ma chambre un peu plus tard, papa et moi assis sur mon lit et maman sur la chaise de mon bureau.
- Tu es contente ? m’a demandé papa.
- Ben oui, très ...
- Moi aussi, mais tu sais, ta petite vie tranquille va sûrement être un peu bousculée dans les jours qui viennent ...
C’était donc ça le sujet.
C’est vrai qu’on n’avait jamais évoqué tous ces aspects avec lui auparavant. Un peu quelquefois avec maman, mais jamais avec lui, probablement un peu pour conjurer la défaite, ou par superstition, jamais il n’avait été question de moi au cas où il deviendrait Président. Il y avait pourtant une chance sur deux et même un peu plus. On a frappé.
- Tu vas changer de registre, a dit Tonton : Tu as au téléphone monsieur le Président qui souhaiterait parler au Président élu.
- Ça n’est pas le plus désagréable, a dit papa en se levant, je le prends dans notre chambre.
- Il va falloir que tu sois solide, m’a dit maman en me passant la main dans les cheveux, mais je ne suis pas inquiète, simplement je pense qu’on ne réalise pas encore très bien ...
Comme elle disait ...
On est redescendu dans le séjour : ça commençait à bouger beaucoup : le téléphone sonnait dès qu’il était raccroché, ceux de la bibliothèque n’arrêtaient pas. Un voisin est arrivé, pour essayer de savoir avant les autres, éconduit gentiment mais fermement par papa qui en profita pour rappeler à tout le monde « avant vingt heures on ne sait rien, pas de bavure ! ».
Papa a appelé le capitaine de gendarmerie qui commandait ce jour-là la brigade renforcée chargée de la surveillance de la Cotansière.
Ils se sont enfermés une minute dans la bibliothèque et le gendarme est ressorti tout sourire.
Il sortait quand papa l’a rappelé :
- Commandant ! Une coupe ?
Le gendarme - j’ai appris après que dans la gendarmerie, quelqu’un qui commandait, même s’il était brigadier chef, on l’appelait commandant - déclina, hésitant.
- Allez, a dit papa, c’est la dernière fois que je peux vous dire ça comme ça.
Ça aussi c’était tout papa !
Ils ont trinqué :
- Pas un mot, a dit papa, et soyez ferme, vous allez avoir toutes sortes de problèmes : du paparazzi au journaliste déguisé. Si vous avez un doute, vous appelez mon épouse ; a priori vous laissez juste rentrer le maire et le fermier.
Papa avait démissionné de la mairie un an auparavant pour se consacrer à la campagne, mais il avait conservé des liens très forts avec les gens d’ici qui étaient tous très gentils avec nous.
J’étais en troisième au collège, à Nogent le Rotrou, et l’année suivante je devais passer au lycée, sans problème, ça marchait plutôt très bien.
- Je ne sais pas ce qui va se passer pour la fin de l’année, et on va voir ça cette semaine avec les gens de la Sécurité : je crois qu’ils vont souhaiter que tu arrêtes Nogent. Compte tenu de la date, ça ne devrait pas être dramatique. Mais comme nous on va forcément habiter l’Elysée, je te vois mal rester ici toute seule. Qu’est-ce que tu en penses ?
- Je ne sais pas ... s’il y a de la place, j’irais plutôt avec vous.
- Bien sûr qu’il y a la place, a dit papa. Et évidemment que tu vas venir avec nous, on ne va pas te laisser, mais c’est vrai que pour le lycée ...
- Il y en a bien un près de l’Elysée ?
- C’est sûr, a dit papa, mais ça n’est peut-être pas aussi simple que ça ... De toute façon, mardi ou mercredi, je vais rencontrer le Président, je pense que Madame nous fera visiter et on va organiser tout ça ...
J’ai demandé :
- Et demain ?
- La nuit va être longue, a répondu papa, moi je ne sais pas encore bien ce que je vais faire, mais on trouvera toujours un chauffeur pour vous ramener ici vous reposer.
- Alors je ne vais pas au collège ?
- Sûrement pas demain en tout cas ! Tu sais ma belle, quelque chose vient réellement de se passer ...
Quelqu’un a frappé à la porte de la chambre.
- Oui, a fait papa.
- C’est Philippe.
- Eh bien entre, a fait papa en riant.
Il a ouvert la porte doucement :
- Je ne savais pas si je pouvais vous déranger.
(Tonton Philippe est le frère de maman).
- On était dans les problèmes d’intendance.
Le capitaine - commandant sorti, il s’enferma dans la bibliothèque en demandant qu’on décroche les téléphones. On a commencé à spéculer sur les jours à venir. Tonton Philippe, sceptique de nature, jouait les prudents :
- Avant vingt heures, je suis prudent !
Ça ne l’empêchait pas de boire du champagne.
Papa est resté presque une heure enfermé dans la bibliothèque, et il n’était pas sorti depuis dix minutes qu’un grand bruit a secoué toute la maison : un hélicoptère se posait sur la pelouse.
C’était déjà arrivé plusieurs fois, mais là, c’était un très gros.
Papa a lâché :
- C’est discret !
Il a regardé sa montre et a ajouté :
- De toute façon, à cette heure-là toutes les rédactions doivent être au courant.
Dans les cinq minutes suivantes, un haut gradé de l’armée, le maire - un vieux copain de papa - et Fernand, le fermier, arrivaient à la maison. Visiblement, celui que papa était le plus content de voir, c’était Fernand : il l’embrassa douze fois et lui remit sur la tête sa casquette qu’il avait ôtée en entrant dans le séjour.
Papa lui tendit une coupe :
- Fernand, j’ai paumé une bouteille, mais celle-là je suis pas fâché de l’avoir perdue !
Fernand rigola, la larme à l’œil, il but une gorgée de champagne et il me dit avec un petit sourire complice :
- Il est malin ton père hein ? De toute façon, il était gagnant : soit il était élu, soit il gagnait une bouteille !
Tout le monde a ri.
Tonton Philippe avait rallumé la télé et zappait.
Papa jetait un œil distrait :
- On mettra le son à huit heures moins cinq.
Ça valait injonction.
Puis il s’adressa au gradé :
- Colonel, l’hélico, ce serait plus pratique pour tout le monde, mais si vous le voulez bien, ce soir, nous allons nous en tenir à la voiture : il y a moins d’une heure de route et j’aimerais bien ne pas donner une image trop distante.
- Bien Monsieur le Président, je vais faire le nécessaire.
Là, j’ai vraiment réalisé qu’il était élu : voir un mec en grand uniforme se mettre au garde-à-vous et l’appeler Monsieur le Président ...
- Nous partirons vers vingt heures dix, dit papa. On ne peut pas avant, mais je voudrais être le plus tôt possible à Paris.
Tonton Philippe, très excité à présent, lui demanda :
- Et comme Premier Ministre ?
- Nom de Dieu, dit papa, j’oubliais ! Tu fais des petits papiers, Claire va tirer au sort !
En dehors de Fernand, qui rit de bon cœur, il y eut un blanc : dans ces cas-là, personne ne savait s’il déconnait ou pas. C’est papa ...
Dix minutes plus tard, une escouade de motards arrivait bruyamment, ce qui me fit revenir sur terre : comment j’allais m’habiller ? Et, au fait, on allait où ?
- Au P.C. de campagne, me dit maman, ça va forcément être la fête. Le mieux est que tu mettes ton tailleur-pantalon beige.
Je n’avais rigoureusement pas pensé à tout ça, mais le champagne aidant, j’étais prête à huit heures moins le quart.
Papa me regarda arriver en bas des marches comme s’il me voyait pour la première fois :
- Eh ben, j’aurais dû répéter, dit-il, tu es superbe. Et il m’embrassa encore.
A huit heures moins cinq, on faisait cercle devant les deux télés. A moins deux, la première chaîne afficha le visage de papa et la fourchette qu’on avait eue à quatre heures, les autres suivirent trente
secondes plus tard. Tonton Philippe zappait sur le deuxième poste. Les commentaires étaient les mêmes partout : « Tout le monde s’y attendait ».
- Ben voyons ! dit papa. Ils ont la mémoire courte !
Et puis tout d’un coup, on vit en direct l’entrée de la Cotansière avec un envoyé spécial qui, au milieu d’un attroupement, précisa que les curieux commençaient à affluer.
- Ouh là là ! dit papa. Il faut se casser vite fait ! Philippe, on te laisse la maison, à plus ! Colonel, vous suivez à deux minutes ? S’il y avait un bouchon inextricable, on vous fera du stop.
J’ai compris après qu’il s’agissait de l’hélicoptère.
On est monté dans la voiture, moi entre papa et maman à l’arrière, et on est sorti de la Cotansière. Papa et maman ont baissé leur glace et serré quelques mains, pour la plupart des gens du village qu’on connaissait, et on a filé vers Paris à toute allure, encadrés par une dizaine de motards. Papa a pris le téléphone deux fois et a appelé quelqu’un. Il était question d’une réunion tard dans la nuit et d’une autre le lendemain matin.
Au pont de Sèvres, ça a commencé à se corser : une moto avec un cameraman est venue à notre hauteur, puis deux, puis trois. Un motard de la gendarmerie s’est approché pour demander ce qu’il fallait faire.
- Bah ! Laissez-les faire, dit papa, et il se plia avec complaisance à des coucous de la main, refusant quand même de répondre aux questions.
L’arrivée avenue Marceau fut plus laborieuse : il y avait une foule compacte et papa a été obligé de fermer sa vitre. Il me pinça le genou comme il aimait faire et se tourna vers nous :
- Etonnant hein ?
On a fini par entrer dans l’immeuble sous les applaudissements. Là, au rez-de-chaussée, c’était la panique : entre les militants, les journalistes, malgré la grande tente installée devant, on avait du mal à avancer pour gagner l’escalier, au pied duquel trois gorilles filtraient l’accès aux étages. Papa, radieux, serrait des mains, mais, lui, il dépassait les têtes. Maman et moi, on n’en menait pas large. Enfin on est arrivé au pied de l’escalier. Là j’ai bien entendu papa dire à l’un des videurs en lui serrant la main :
- Salut King Kong, je vais avoir besoin de toi, appelle ma secrétaire demain matin et dis-lui que je t’ai demandé d’appeler.
- OK Monsieur le Président.
Et papa a passé un bras autour de maman et l’autre autour de moi pour nous pousser vers l’escalier.
Il s’est retourné vers King Kong en me désignant de la tête :
- Claire, ma fille.
Il m’a glissé à l’oreille :
- C’est lui qui s’occupera de toi.
Je me suis retournée et je l’ai aperçu de dos : deux armoires à glace !
Là-haut, c’était beaucoup plus calme : les membres du bureau politique, les ex-ministres du parti et quelques amis triés sur le volet.
Papa s’est éclipsé pour faire sa déclaration à la télé. Il a sorti de sa poche un papier probablement rédigé plus tôt dans la bibliothèque et il est sorti.
Cinq minutes plus tard, tout le monde s’est tu pour l’écouter à la télé. Ça a été très bref : il a remercié tout le monde : ses électeurs, sa femme, sa fille et ses amis et il a dit qu’il serait le Président de tous les Français. Quand il est revenu, François s’est précipité vers nous et lui a dit :
- La foule te réclame mon vieux, tu ne couperas pas au balcon !
- Alors tout de suite, a dit papa.
Et il nous a entraînés vers la fenêtre.
Ça a été du délire durant cinq minutes : des milliers de gens hurlaient, sifflaient, chantaient « on a ga-gné », les flashes crépitaient. Dans la pièce, tout le monde voulait voir dehors et j’ai bien failli me retrouver sur le trottoir !
Papa a donné le signal en se retirant et on a refermé la fenêtre.
- Il y a rien à grignoter ?
- On va vous trouver ça.
Il était presque dix heures et on avait oublié de manger. Là-dessus, il s‘est mis à parler avec ses copains des résultats et surtout de l’ordre du jour du lendemain. Ça commençait fort avec une réunion à minuit !
A partir de là, je me suis embêtée assez dur : maman qui saluait tout le monde m’appelait de temps en temps pour me présenter, mais je n’avais pas grand chose à dire.
Un moment, papa est venu me voir, très vite :
- Tu vas près de la porte là-bas, tu l’ouvres et tu m’appelles très fort comme si tu avais un truc très très important et très urgent à me dire !
- Pourquoi ?
Il a pris un air gravissime et m’a chuchoté à l’oreille :
- Pipi !
J’ai failli éclater de rire et je suis allée l’appeler.
Vers une heure, ça s’est calmé : dehors, la foule était plus clairsemée et papa était en réunion avec les ténors à l’étage au-dessus. A un moment, il est descendu nous voir.
- Jean-Marc vous ramène dès que vous voulez. Moi je vais probablement dormir chez François parce que demain matin on attaque tôt.
- Ah ! a-t-il dit à maman, il faudrait que Jean-Marc me rapporte du linge, une ou deux chemises, des cravates et un costume. Tu peux t’occuper de ça en rentrant ?
- Bien sûr, a dit maman. Si tu penses à autre chose, appelle dans la voiture.
- Allez vous reposer, et profitez-en demain, après ...
Il nous a embrassées.
- Je serais bien rentré avec vous, mais ...

On est rentré à la Cotansière vers trois heures, escortées par deux motards. Jean-Marc - le chauffeur attitré de papa - s’est occupé des vêtements de papa et il est parti s’allonger dans la maison d’amis, il repartait à six heures.
On a bavardé un grand moment avec Tonton Philippe et Tante Sophie et on est parti se coucher, mais j’ai eu beaucoup de mal à m’endormir.

Maman est venue me réveiller à 11 heures 30.
- Mademoiselle la fille du Président daignerait-elle se lever avant midi ?
- La première Dame de France pourrait-elle foutre la paix à la fille du Président ?
Il y avait des journaux partout au rez-de-chaussée et j’ai regardé les premières pages en avalant mon chocolat. Sur presque toutes, il y avait la photo de nous trois au balcon la veille.
J’ai pensé avec un délice un peu sournois à tous les copains-copines du collège qui étaient en train de se farcir une heure de maths avec ce con d’Epsilon.
- Ton père a appelé il y a une heure, m’a dit maman : on déjeune demain à l’Elysée.
- On qui ?
- On tous les trois, avec le Président sortant et Madame, qui doit nous faire visiter après.
- Tu sais quand on va emménager ?
- Théoriquement la semaine prochaine, mais on en saura beaucoup plus demain.
- Qu’est-ce que je vais me mettre ?
- Je ne sais pas, ta petite robe bleue ?
- Ouais ...
- Philippe m’a dit que tu as des copains qui ont appelé hier soir. C’est gentil, mais il faudrait que tu leur fasses dire de s’abstenir dans les jours qui viennent. De toute façon les numéros vont changer.
- Attends, j’ai le droit d’avoir des copains quand même ?
- Bien sûr ma chérie, mais il va falloir rôder un peu tout ça. A l’Elysée, je pense que tu auras ta ligne.
- A l’Elysée ... ça alors ...
- Eh oui ! On en a pris pour sept ans !
- J’ai treize ans, maman ...
- Et alors ?
- Alors dans sept ans, j’aurais vingt ans, si j’ai mon bac dans trois ans je serais peut-être plus à l’Elysée ...
Maman s’est renfrognée un peu.
- On n’en est pas du tout là !
Elle avait tout à fait raison, mais je n’avais pas complètement tort.
- Papa revient aujourd’hui ?
- Oui mais tard ce soir, après le dîner. En revanche il dînera ici demain soir, on pourra voir tous les trois comment on s’organise.
A midi et demie, j’ai appelé Séverine, qui habite Nogent et rentre déjeuner chez elle, pour avoir des nouvelles du collège.
- La révolution ma vieille ! Tous ceux de la classe sont fiers comme des petits bancs. On parle que de ça ! Epsilon a fait une remarque pincée sur ton absence, et cinq minutes plus tard Gaston est venu nous faire un speech complètement déglingué sur l’honneur du collège, enfin tu vois le style. On rigolait tous, on aurait dit que c’était lui qui venait d’être élu !
Gaston est le Principal du collège.
- Je ne sais pas de quoi il se mêle celui-là, quant à Epsilon, il va pas être déçu, aux dernières nouvelles, je ne remets plus les pieds au collège.
- Merde !
- Attends, ça c’est l’officiel, je vais quand même aller vous voir !
- Ah ! Bon ! ...
- J’en saurai plus demain soir, demain on déjeune à l’Elysée.
- Ouah ! Veinarde !
- Ça je suis moins sûre, mais tu viendras, tu sais je vais habiter là-bas ... pendant sept ans dit ma mère !
Et on a continué à se raconter des conneries.

Le lendemain, on est arrivé à midi et demie à l’Elysée. On est entré par la porte de l’avenue de Marigny et c’est le chef du Protocole qui nous a accueilli et accompagné dans un petit salon où la femme du Président sortant nous a rejointes. Tout de suite papa était monté dans le bureau du Président. Sa femme était une dame âgée, très gentille, qui devait être une grand-mère gâteau.
On s’est assises toutes les trois et on nous a offert du champagne. Elle nous a expliqué qu’on allait d’abord déjeuner et qu’après elle nous ferait tout visiter, ce qui m’intéressait beaucoup plus que le repas, surtout voir ma chambre.
- Si j’ai bien compris, vous allez devoir habiter ici ?
- Oui, a dit maman, la Cotansière est à cent trente kilomètres ...
- Nous, nous avions la chance - enfin si on veut - d’habiter Paris, si bien que nous sommes restés
chez nous. Pierre s’était tout de même fait aménager une garçonnière, car il y a des moments où il a bien fallu qu’il passe la nuit ici ...
Et pour vos études ? m’a-t-elle demandé.
Je me suis tournée vers maman.
- C’est un problème : nous n’avons pas encore décidé.
- Je crains de ne pouvoir vous aider, les nôtres sont grands : nous avons huit petits-enfants ! Lorsque mon mari a été élu, le plus jeune avait 24 ans et volait de ses propres ailes aux Etats-Unis. D’ailleurs, j’y pense, sauf erreur c’est une première : il y a bien longtemps qu’une grande jeune fille n’a pas habité ici ... Il est vrai que ton père est jeune ... Tu vois, je viens de te tutoyer sans m’en rendre compte.
- Vous pouvez ...
J’avais dit ça pour la forme, mais c’était plutôt agréable.
- Pourquoi pas ? A condition que ce soit réciproque.
Maman est venue à mon secours :
- Ça, ça va être plus difficile, la connaissant bien ...
- Nous essaierons tout de même ...
Ils sont arrivés : « ils », le sortant et l’élu.
Ça paraît bête, mais c’est sûrement un des grands moments que j’ai vécus : je l’avais déjà vu une fois, mais trois ans avant, lors d’une visite qu’il faisait dans l’Eure et Loir : il était passé à la mairie de Nogent le Rotrou. Papa était élu du département et on commençait à parler de lui pour la présidentielle. Papa m’avait présentée et les photographes s’en étaient donné à cœur joie.
Il a fait le baisemain à maman, et papa a fait la même chose à sa femme. C’était délicieusement ringard. Et puis il m’a regardée de la tête aux pieds.
Il a dit, presque solennellement :
- L’Elysée va prendre un coup de jeune : il y aura au moins deux jolies jeunes femmes ...
Et il m’a embrassée sur les deux joues.
Mes chaussures blanches ont du prendre un coup de rouge ...
- La dernière fois que vous l’avez vue ...
Papa n’a pas eu le temps de finir.
- Je m’en souviens très bien, elle faisait quinze centimètres de moins et elle portait une robe bleue, mais avec des petites fleurs vertes ...
Et ça, c’était vrai.
Papa a regardé maman - qui n’en croyait pas ses oreilles.
Comme s’il n’avait rien dit, il est allé chercher des coupes, les a données à maman et à sa femme, il est allé en chercher deux autres qu’il a apportées à moi et à papa, puis une pour lui. Le maître d’hôtel était sorti.
Il m’a dit :
- On peut être vieux et avoir conservé la mémoire ... Si vous le voulez bien, buvons aux sept ans que vous allez passer ici, peut-être plus.
Et il a levé son verre.
- Tu sais, me dit-il - il me tutoyait sans façon lui - le personnage important ici, ton père pense que ça va être lui, ta mère le pense aussi, mais ça n’est pas vrai : ça va être toi ! Les médias dans un mois, ils n’auront plus rien à faire de ton papa, sauf le 31 décembre, le 14 juillet et deux ou trois fois par an, quand ça ne va pas. Le reste du temps, la Reine ce sera toi !
Sur le coup, je me suis dit qu’il racontait ça pour meubler.
On a bavardé un peu, et puis on est passé à table dans la petite salle à manger voisine : les deux Présidents l’un à côté de l’autre, maman à la droite du sortant, sa femme à la gauche de papa, et moi en face. En dehors de notre date d’arrivée - le jeudi de la semaine suivante - ils ont parlé des jardins, du personnel, des meubles, de tout sauf de politique, ce qui était facilité par le fait que le Président sortant ne s’était pas représenté.
Après le repas on est passé à ce qui m’intéressait le plus : la visite. Papa et son prédécesseur sont partis d’un côté et nous de l’autre. On s’est croisés dans les cuisines, nickelles comme un bloc opératoire. Notre groupe « féminin » n’a pas eu droit au PC Jupiter, le sanctuaire de commandement nucléaire, mais ça n’a pas eu l’air de manquer à Maman. La «  Présidente » nous gratifia de tout son savoir historique et ce qui m’a le plus étonné c’est d’apprendre que Napoléon avait habité là. Elle nous expliqua aussi que lorsqu’ils étaient arrivés, il y avait un très grand appartement en duplex, mais que , comme ils avaient continué à habiter chez eux, à Paris, son mari avait préféré reconvertir ça en bureaux, à l’exception d’un petit deux pièces- salle de bains au premier étage qui servait au Président lorsqu’il lui fallait rester dormir sur place. Je me suis demandée comment on allait faire…
Et puis on s’est tartinées tous les salons, les bureaux, la Salle des fêtes, tout ça
bien doré et ringard à souhait, mais là, je suis peut-être un peu partiale et on a terminé par les jardins, pardon, le « Parc » qui lui est superbe.
Après, on a eu droit au thé où je me suis embêtée ferme .
Mon impression était mitigée.
On est rentré le soir à la Cotansière avec maman et papa est arrivé juste avant le dîner.
Papa s'est mis à table avec un papier. C’est toujours signe qu’il y a des choses importantes qui se préparent.
- Bon ! Alors, qu’en pensez-vous ?
On aurait dit qu’il parlait de sa nouvelle cravate ou d’un tissu pour le mur.
A notre tête, il a fallu qu’il précise :
- De l’Elysée bien sûr, c’est quand même notre nouvelle maison !
Maman m’a regardée d’un air désolé et lui a dit :
- Ça ne va pas être très simple ! D’abord c’est petit !
Il a ri.
- Je pourrais peut-être faire un référendum pour savoir si on doit agrandir l’Elysée. Non, sérieusement ?
- Sérieusement, a dit maman, je ne sais pas où on va pouvoir coucher ...
- Bon, on va prendre les choses dans l’ordre.
Et il a déplié le papier qu’il avait dû écrire en rentrant.
- D’abord une mauvaise nouvelle pour toi !
Et il m’a regardée.
- Pas de lycée l’année prochaine, ni jusqu’au bac d’ailleurs !
Ça m’est tombé dessus comme le gros lot du loto sur quelqu’un qui ne joue pas. J’ai dû avaler mon maïs en salade et j’ai posé ma fourchette en les regardant tour à tour.
- Mais ...
- Ne t’énerve pas, a dit papa qui avait cogité l’affaire. La Sécurité n’en veut absolument pas, et sauf à transformer un lycée en Fort Knox, ça n’est pas possible. Et il y a une autre raison plus insidieuse : en admettant qu’on y arrive matériellement, tu vas avoir des notes, des appréciations, tout ça passera régulièrement dans les médias, pour le meilleur, le pire et le reste.
- Et ... pourquoi la Sécurité ?
- Mais parce que ma belle, tu n’y crois pas encore, mais tu es la fille du Président : il y a dans le monde des tas de fêlés qui pensent défendre une cause, qu’elle soit juste ou imbécile, et qui pourraient avoir envie de s’en prendre à toi pour infléchir l’attitude de la France, ou pour réclamer beaucoup d’argent, ou les deux à la fois, ou autre chose ...
Ça commençait à m’effrayer un peu.
- Et alors ?
- Alors, la solution est la suivante : tu t’inscris au CNED, l’enseignement par correspondance, et tu auras sur place, à l’Elysée, deux ou trois profs dans les matières importantes, qui viendront chaque semaine une heure ou deux, ou plus ...
Je ne savais pas quoi en penser ... plus d’école ...
- Et l’anglais ?
- Tu fais bien de parler de ça : bien sûr, tu en auras un en anglais, mais là, il y a mieux et ça nous ramène à l’aménagement : d’ici à la fin juin, tu vas occuper la garçonnière de ton admirateur, qui va d’ailleurs devenir ta chambre. Ça te va ?
Et comment que ça m’allait !
- En juillet, août et début septembre, pendant les travaux, tu files en Angleterre dans une famille.
Décidément, c’était l’heure des nouvelles ...
- Oui, je te rassure, c’est l’ambassadeur qui s’occupe de ça, tu ne seras pas malheureuse, en plus il y aura un break fin juillet début août, tu viens nous rejoindre à Brégançon où on partira dix jours avec ta mère. Tout le monde a besoin de vacances. Attention ! En Angleterre, j’ai demandé une heure de cours le matin, une l’après-midi et une famille qui ne parle pas français. Je veux que tu reviennes en parlant comme un vieux lord, en tout cas avec un meilleur accent que ton père, mais comme tu te débrouilles déjà, je ne suis pas inquiet ! Après, il restera le français et les maths ...
J’ai dû faire une grimace ...
- Eh oui ! Tu n’as plus droit à l’Assez Bien ...
- Et vous ?
- Nous ! Oui ! a-t-il fait en se tournant vers maman. Nous, d’ici au 15 août, on habite en face, avenue Marigny, c’est la résidence des hôtes étrangers en visite officielle, il y a pire ... Donc, en juin on sera tout près de toi, et le 15 août, notre pied à terre sera terminé dans l’Elysée.
- Et vous vous installez où ?
- A côté de chez toi : on casse trois bureaux de conseillers et on remplace par un salon, une chambre et une salle de bains.
- C’est tout ?
- Ben tu sais, le reste existe : il y a trois salles à manger, des bureaux, une bibliothèque, une salle de cinoche au sous-sol, qu’est-ce que tu veux qu’on invente ?
C’était vrai. J’ai recommencé à croquer mon maïs.
- Et ma chambre ?
- Ton studio, a rectifié papa ... Pour l’instant, tu l’habites comme ça, avant de partir en Angleterre, tu diras comment tu le veux, je t’accorde que la déco est un peu surannée ...
Il a regardé son papier.
- Ah oui ! Le téléphone : Tu vas avoir une ligne directe. Le chef de la Sécurité m’a demandé trois fois d’insister auprès de toi pour que ton numéro ne circule pas trop ; et là, il faut vraiment pas déconner : le cercle le plus restreint possible. Tu auras un autre numéro un peu moins confidentiel, mais la ligne directe, c’est quasiment secret - défense.
Bon ! Pas de lycée, presque pas de téléphone, des profs à domicile, l’Angleterre, Brégançon, un studio à l’Elysée. Quoi encore ?
Papa regardait son papier :
- Pour la rentrée, il te faudra une garde-robe un peu plus ... complète : dès que tu vas parler anglais, j’espère que tu viendras aux dîners, ça te fera rencontrer du monde.
- Ah oui ! - il lisait - Voiture : Là, petit problème : tu peux aller où tu veux, quand tu veux, mais ni à pied, ni toute seule ...
La cerise ...
- Me regarde pas comme ça : tu as accès au parc des voitures à tout moment. Il y en a toujours deux ou trois de disponibles. Et tu as un garde du corps qui t’est spécialement affecté : j’ai demandé que ce soit King Kong, tu l’as aperçu dimanche soir. C’est un type adorable que je connais bien. Il y a peut-être un g en trop, mais il tire plus vite que Lucky Luke, il court très vite, et il se ferait flinguer plutôt que de te laisser égratigner. Avec lui, j’aurai l’esprit tranquille.
J’entendais, mais je mesurais mal encore.
- Et cette semaine, je peux aller au collège ?
- Je n’y tiens pas, a dit papa en faisant la grimace.
- Pourquoi ?
- Parce que je n’ai pas envie de mettre la Sécurité sur les dents à Nogent le Rotrou dès la première semaine.
Il a vu ma mine contrariée.
- Ceci dit, il y a une chose que tu peux faire, c’est y aller un jour avec Jean-Marc, mais sans prévenir.
- ? ?
- Oui, si personne n’est au courant, il ne peut pas y avoir de problème. Tu y vas par exemple à la sortie des cours, à midi, tu verras tout le monde, tu peux même déjeuner avec deux ou trois copains et Jean-Marc te ramènera, ni vu ni connu.
C’était déjà ça.
- Et puis courant juin, quand on sera installé là-bas, tu peux inviter une journée ici tous ceux que tu veux. Du moment que tu les connais et que c’est filtré à l’entrée, pas de problème.
- Chic !
En dehors de mon anniversaire, c’était bien la première fois que papa me proposait d’organiser une fête à la maison. La Présidence avait peut-être aussi du bon.
Il s’est tourné vers maman.
- Elisabeth, tu vois autre chose pour Claire ?
- Non ! ... ça me paraît déjà suffisant à digérer. Tu sauras quand pour l’Angleterre ?
- Dans les quarante-huit heures.
Il a regardé son papier pendant qu’on mangeait le hachis parmentier - délicieux - de Georgine :
- Le reste concerne tout le monde : la passation de pouvoirs a lieu mardi, dans huit jours. Ça risque d’être la journée la plus assommante du septennat.
- Je suis obligée d’y être ?
- Vois-tu, je peux difficilement te faire un mot ...
- Bon ... Au fait, tu vas prendre qui comme Premier ministre ?
Il a rigolé :
- Celui que tu vas me conseiller ! ... Sérieusement, c’est compliqué, ça dépend si je dissous l’Assemblée ou non.

- Et alors ?
- Alors je vais faire comme d’habitude.
- C‘est-à-dire ?
Je connaissais la réponse mais je voulais lui laisser dire, c’est une de ses formules favorites.
- Eh bien, je vais me réunir. Me réunir, réfléchir et décider.
- Bon ! Bon ! Cachottier !
- Tu n’as pas fini ! Tiens, à propos, la Présidente des Etats-Unis m’a appelé tout à l’heure pour me féliciter.
- Hilary ?
- Herself : ils nous attendent là-bas dès qu’on veut pour faire plus ample connaissance.
- Chic ! Après l’Angleterre au moins ?
- Oui, de toute façon, une visite officielle, même si elle est courte, ça ne s’improvise pas : on a tous des agendas un peu chargés ...

Le jeudi, à midi moins le quart, personne n’étant prévenu pour respecter les consignes, Jean-Marc m’a déposée devant le collège. J’ai filé en douce jusqu’en salle 219 et, juste quand la cloche a sonné, j’ai frappé et je suis rentrée sans attendre la réponse de la prof d’anglais. Tout le monde s’est précipité pour me faire la bise, Cédric est monté sur sa chaise et a entonné la Marseillaise, reprise par les habituels déconneurs ... Tout dans la discrétion. La prof m’a demandé si elle pouvait me voir trois minutes, je lui ai dit que je revenais à deux heures et on s’est donné rendez-vous à deux heures moins cinq en salle des profs. Après, j’ai dû répondre à un milliard de questions et la nouvelle avait dû faire le tour car il y avait des dizaines de curieux qui passaient furtivement la tête aux fenêtres qui séparaient la salle du couloir. A midi et quart j’ai dit à Séverine, Gaëlle et Mathieu que je les invitais au restau.
Séverine m’a dit qu’elle ne pouvait pas parce que ses parents n’étaient pas prévenus.
- Tu les appelleras de la voiture.
On s’est entassé dans « la voiture du Président », Mathieu devant et les trois filles derrière et Jean-Marc a filé vers le Chat Botté, au centre ville.
Séverine a appelé ses parents - le téléphone à l’arrière les a complètement bluffés - et on est arrivé au restau. Le patron nous a détaillés comme si on arrivait de la lune - c’est vrai qu’on avait entre treize et quatorze ans - et puis il m’a dévisagée et il a compris. Il est venu me serrer la main comme si on se voyait toutes les semaines et il nous a offert une coupe de champagne.
- J’espère que votre papa ne nous laissera pas tomber.
Je n’ai pas beaucoup mangé parce qu’il fallait que je raconte tout et on a avalé notre dessert en vitesse parce que les autres reprenaient à deux heures.
Je suis arrivée un peu en retard au rendez-vous avec la prof d’anglais : elle voulait juste savoir ce que j’allais faire. J’ai dit que pour l’année prochaine je ne savais pas (papa m’avait dit de ne rien dire) et que cette année je ne viendrais plus mais que je partais deux mois en Angleterre dans une famille.
- Tu vois, c’est là que les verbes irréguliers vont te servir !
Effectivement, on ne pouvait pas ne pas les connaître, chaque erreur coûtait un zéro et dix fois la liste à copier.
J’ai promis de revenir la voir en septembre ou octobre et je suis allée dire au revoir aux copains qui rentraient en sciences nat.
En sortant du collège, alors que je ne m’y attendais pas du tout, un photographe m’a mitraillée entre la grille et la voiture.
Jean-Marc est sorti précipitamment et l’explication a été brève mais ferme.
- Qu’est-ce que vous lui avez dit ?
- Simplement que si une photo de toi passait sans autorisation, ton père allait se fâcher tout rouge et qu’il pourrait s’inscrire à l’ANPE.
C’était ma première rencontre avec les paparazzi.
On a emménagé à l’Elysée le lundi suivant, veille de la passation des pouvoirs. En arrivant dans ma « chambre », j’ai trouvé un bouquet de fleurs avec une carte du Président sortant :
« J’espère que ce havre de paix sera profitable à de brillantes études ».
J’avais juste apporté des vêtements, ma chaîne et mon nounours. J’ai commencé une petite liste de bricoles à rapporter de la Cotansière. Il y avait une télé, le téléphone branché, un grand bureau, plein d’étagères, un canapé et deux fauteuils, un appart quoi ...
Au fond, une porte donnait sur la salle de bains, très moderne. Il y avait trois fenêtres dans la pièce, avec des volets en bois à l’extérieur et des volets électriques à l’intérieur. Ça c’était génial.
J’ai eu besoin d’aide pour installer ma chaîne et un employé est venu le faire. Tout en branchant, il m’a dit :
- Vous pouvez la mettre à donf les manettes, la pièce est rigoureusement insonorisée !
Ça c’était génial aussi, encore que je me voyais mal mettre U2 à fond dans l’Elysée ... mais pour les films à la télé, c’est mieux.
Maman est venue me voir et on a commencé à penser au changement de décor pendant l’été. Peut-être des meubles modernes noirs et du tissu gris bleu ... J’étais sur un petit nuage, mais maman m’a rappelé que le lendemain ne serait pas une journée facile et m’a demandé de passer ma robe blanche, pour voir, et on est reparti à la Cotansière.
Le lendemain, je ne sais pas pourquoi, c’est un hélicoptère qui est venu nous chercher et il nous a déposés à Villacoublay. Ça a mis vingt minutes et ça, c’est génial, mais j’ai pratiquement rien vu parce que je n’étais pas du côté du hublot.
A Villacoublay, il y avait trois voitures, dont la grosse avec un petit drapeau. Papa est monté dedans sans nous et nous dans celle de derrière. Toute la caravane est partie vers Paris, encadrée par plein de motards en habits du dimanche.
A partir du pont de Sèvres, il y avait des voitures et des motos de la télé.
Arrivés à l’Elysée, on s’est séparé, papa a dû entrer par le faubourg Saint-Honoré et nous par l’avenue Marigny.
On est arrivées, maman et moi, dans la salle des fêtes pleine de gens très importants que je ne connaissais pas et à qui il a fallu que je serre la main, un par un, de temps en temps c'était "une".
Le Président du Conseil Constitutionnel a proclamé les résultats de l’élection, puis papa a prêté serment et à son tour il a serré toutes les mains en disant un mot à chacun. Ça a duré une éternité et le chef du protocole est venu lui dire d’accélérer le mouvement.
A onze heures et quart, il est sorti avec maman pour aller remonter les Champs-Elysées.
La veille, on avait décidé que je resterai là.
- Tu verras bien mieux à la télé, m’avait-il dit.
Effectivement, je crois que j’ai bien mieux vu à la télé tellement il y avait de monde. C’était superbe, sauf qu’entre les commentaires catastrophiques et les chevaux de la Garde Républicaine, on aurait pu se croire aux obsèques de la Reine d’Angleterre.
Papa a déposé une gerbe sur la tombe du soldat inconnu, puis il a redescendu les Champs-Elysées - c’était bien la peine ! - et il a rejoint tout le monde qui prenait un verre et des cacahuètes.
A treize heures, une vingtaine de personnes sont passées dans la salle à manger : il y avait Hilary Clinton qui ne quittait pas maman et papa est venu me présenter :
- Quand nous irons vous voir, a-t-il dit dans son mauvais anglais, elle parlera mieux que moi.
Hilary s’est amusée et elle a répondu quelque chose que je n’ai pas compris, sûrement à cause de son accent.
Maman est venue à mon secours :
- La Présidente te dit que tu peux venir quand tu veux à la Maison Blanche cultiver ton accent américain.
J’ai bredouillé un vague remerciement dans un anglais que madame Dutilleul aurait noté très sévèrement, et on est passés à table.
J’étais entre le Roi du Maroc, jeune - par rapport aux autres - et tout timide, et le Prince William, et là, l’anglais m’a sérieusement manqué : heureusement, ils parlaient français, à cause de moi sans doute.
A trois heures, tout le monde a pris le café dans les jardins. La foule des invités était partie, et les « importants » sont repartis les uns après les autres. A sept heures et demie, on s’est retrouvés tous les trois dans le petit salon.
- Ouf ! a dit papa, je vous avais dit que ça ne serait pas le plus facile ! ... Tout s’est bien passé ? a-t-il demandé à maman.
- J’ai l’impression, mais on ne pouvait pas être partout !
- Bon, ben je crois que ce soir, ça va être saucisson - beurre et croque-monsieur, qu’est-ce que vous en pensez ?
- Ça me va très bien ...
- Pendant qu’on est tranquilles, il faudrait qu’on fixe un jour de la semaine où on dîne systématiquement tous les trois ... Qu’est-ce qui est le mieux ?
- Ça dépend, a dit maman, les semaines où on aura passé le week-end à la Cotansière, ça serait mieux en milieu de semaine.
- Justement, il ne faut pas que ça dépende, sinon ça ne sera jamais le bon jour ... et puis il va y avoir les voyages à l’étranger. Comme le mercredi matin, je suis obligé d’être là, on pourrait dire tous les mardis soirs ?
Personne n’a fait d’objection.
- Quel jour c’est le western sur la trois ?
Ça c’était tout papa ... Son statut ne l’avait pas changé.
- Bon, il n’y a plus qu’à se mettre au boulot.
- Est-ce que tu t’es déjà réuni ?
- Pas tout-à-fait assez, mais je pense que demain, ce sera fait.
- On peut savoir ?
- Non ma belle, « on » ne peut pas savoir, pour la simple raison que « on » ne sait pas encore ...
Là dessus on est passés à table pour notre premier dîner. Papa regardait la télé d’un œil distrait : on le voyait évidemment sous toutes les coutures. Mais le plus drôle, ça a été la tronche du maître d’hôtel arrivant avec ses croque-monsieur comme si c’était des truffes au caviar ...
A dix heures, j’ai laissé mes parents devant la télé, et je suis partie me coucher, et puis tout d’un coup j’ai pensé qu’ils dormaient en face et je me suis dit que j’aillais être toute seule.
Ça a amusé papa :
- C’est pas grave, il y a un berger allemand dans la cour, il aboie dès que quelqu’un rentre ...
- C’est malin ! ...
- Non mais il doit bien y avoir une cinquantaine de gendarmes pour garder le bâtiment, je pense
que tu peux dormir sur tes deux oreilles. Bonne nuit ma belle !
J’ai dormi comme deux souches et je me suis réveillée vers neuf heures.
Je n’avais aucune idée de l’endroit où je pouvais prendre mon petit déjeuner. J’ai fini par décrocher le téléphone et, comme je ne savais pas quel numéro faire, j’ai tenté le zéro.
- Capitaine Barreau, poste de garde, j’écoute.
Mince ! J’ai essayé d’expliquer que je cherchais à joindre ma mère en face.
Il y a eu un blanc, puis ça s’est arrangé et une femme de chambre m’a apporté mon petit déjeuner dans ma chambre.
C’est à ce moment-là que j’ai vraiment compris que quelque chose avait changé.
Le petit déjeuner dans « ma » chambre donnant sur le parc de l’Elysée!: papa avait vraiment fait fort.
Et en plus, pas de programme pour aujourd’hui, pas de collège, pas de cours, pas de profs, rien ...
Papa m’avait bien fait jurer de compenser mon absence par le rattrapage des cours, mais ça pouvait attendre le début de la semaine prochaine.
J’ai pris une douche, enfilé un jean et un pull et j’ai décidé d’aller explorer le quartier et d’aller acheter un journal de télé pour avoir les programmes.
Je suis descendue par le chemin que je connaissais et je me suis retrouvée dans la cour d’honneur et, par le côté, j’ai gagné le porche.
Là, un jeune gendarme, après avoir hésité, m’a demandé de remettre mon badge.
Mon badge ? ...
J’ai dit tout simplement :
- Je ne sais pas, je suis la fille du Président ...
Il s’est mis au garde-à-vous, rouge comme une tomate, et ne savait visiblement pas quoi faire.
- Je ... excusez-moi Mademoiselle.
Ses quatre collègues m’ont regardée, stupéfaits. Il y avait un truc que je ne comprenais pas, mais je demanderai à papa ...
J’ai pris à gauche vers la place - la place Beauveau - là où il y a le ministère de l’Intérieur, et j’ai décidé de remonter la rue de Miromesnil, celle du milieu. Il y avait plein d’antiquaires, mais j’apercevais plus loin au feu l’enseigne d’un bureau de tabac. Il y a souvent des marchands de journaux près des bureaux de tabac. En tout cas en province. Et j’étais en train de me dire que c’était la première fois que je me baladais toute seule dans Paris. Dans la rue à gauche, il y avait une maison de la Presse. Je suis rentrée, j’ai pris Télé 7 Jours et j’ai feuilleté deux ou trois autres magazines. On a entendu la sirène d’une voiture de police qui passait à toute allure, puis une deuxième. Mais ça ne devait pas être rare dans le quartier.
Quelqu’un sur le pas de la porte a demandé :
- Vous n’auriez pas vu ...
Je me suis retournée, c’était un agent de police. Il m’a vue et il n’a pas terminé sa phrase. Il s’est précipité vers moi, suivi d’un autre, et m’a demandé :
- Vous êtes la fille du Président ?
- Ben ... oui ... pourquoi ?
Je ne sais pas, j’ai vaguement eu peur pour papa, un instant.
- Rien de grave, tout va bien ! Ne sortez pas, on est là !
Je ne comprenais rien. Les gens me regardaient. Il a parlé dans son talkie. J’ai compris :
- Lézard trente-six, Papillon localisé. Contact verbal. Maison de la Presse, 17 rue Lincoln. OK.
- Mais qu’est-ce qui se passe ?
- Rien, rien, mais on vous cherchait partout.
Une minute plus tard une voiture avec un gyrophare s’est arrêtée devant brusquement : elle n’était pas tout-à-fait arrêtée que King Kong est descendu et est entré en courant dans la boutique.
- Mademoiselle Claire, il ne faut pas nous faire des frayeurs comme ça ...
- Des frayeurs ...
- Ben oui, vous ne devez pas quitter l’Elysée sans moi.
Et il a parlé dans son talkie à lui :
- King Kong, c’est OK, Papillon récupéré, prévenez Libellule et Scarabée, je la ramène.
J’ai commencé à m’énerver un peu :
- Attendez, je viens juste acheter le journal, je ne suis plus un bébé !
- Calmez-vous, a dit King Kong en regardant autour de lui, on va voir ça tranquillement avec votre père.
Elle était bien bonne !
Je n’avais pas le droit d’aller acheter le journal !
Président ou pas, papa allait entendre parler de moi !
King Kong m’a demandé :
- Vous avez ce que vous cherchiez ?
- Oui, enfin, admettons ! Mais je peux peut-être payer? ...
Je suis allée payer à la caisse où la patronne m’a tellement dévisagée qu’elle ne trouvait pas la monnaie. Et on est sortis.
King Kong m’a ouvert la porte arrière, je suis montée. Il est monté à l’avant à côté du chauffeur et on est rentrés en deux minutes à l’Elysée.
- Vous savez, m’a dit King Kong, il faut pas m’en vouloir, c’est les instructions ...
Maman m’attendait dans la cour, et comme une autre voiture arrivait en même temps que nous, je me suis faite plutôt discrète.
On est montés tous dans le bureau de papa, où je mettais les pieds pour la première fois depuis la visite.
Il a demandé à King Kong d’attendre une minute dans le salon.
- Alors j’ai pas le droit de sortir ?
- Bonjour quand même, m’a dit papa en venant m’embrasser. Bien sûr que si que tu as le droit de sortir, tu as même le droit de sortir quand tu veux, où tu veux, et j’en profite pour te rappeler que tu n’es plus aux fins fonds de l’Eure et Loir mais au milieu de Paris, ce qui élargit pas mal tes possibilités. Mais ...
- Mais j’ai pas le droit d’aller acheter un journal !
- Toute seule, non ! Puis-je te faire remarquer que je te l’avais dit : dès que tu sors c’est avec King Kong. Dans la journée, il est à ta disposition. Le soir il suffit que tu le préviennes avant cinq heures.
- Mais juste à côté ...
- A côté, c’est dehors : des fêlés ou toutes sortes de gens mal intentionnés en ont pour moins de cinq secondes à t’enlever. Là, ça n’est même plus un problème de personne : ça s’appelle la raison d’Etat. Ta mère est soumise aux mêmes contraintes.
Il faut se calmer, prendre tranquillement nos marques et s’habituer. Tu verras que King Kong est très gentil. Je te rassure, il ne te tiendra pas par la main, il sera en permanence à trois ou quatre mètres. Dans quelques jours, tu l’auras oublié. Il doit juste te voir en permanence, et tu as vu, il n’a pas besoin de se mettre sur la pointe des pieds ...
Je me suis abstenue d’une remarque sur les toilettes qui n’aurait sûrement pas été appréciée. Papa est allé à la porte et il a fait signe à King Kong de rentrer.
- Bon, je pense que les choses sont claires si je peux dire ... Ça s’appelle des réglages. Si des problèmes d’intendance se posent, essayez de régler ça avec ta mère parce que dans les jours qui viennent, je vais sûrement avoir autre chose à faire. Pendant que j’y pense, sache qu’au service de Presse, au rez-de-chaussée à gauche, il y a toute la presse en trois exemplaires.
Puis il s’est adressé à maman :
- François et sa femme déjeuneront avec nous dimanche. S’il fait beau, à la Cotansière, sinon ici.
Il m’a fait un clin d’œil et il a regardé sa montre :
- Dans deux heures, il sera premier Ministre !
Allez, j’ai du boulot, va donc t’acheter des robes, tu vas en avoir besoin !

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